- 21 décembre 2018
- Focus conseil
Démembrement d’un bien acquis en défiscalisation pendant la période de location : redressement fiscal et responsabilité du notaire ! (CA Angers, 03/07/2018)
1. Ce qu’il faut retenir
La responsabilité du notaire ayant reçu un acte de donation-partage portant sur la nue-propriété des parts d’une société détenant l’immeuble sous dispositif de Robien est engagée.
Dans le cadre du dispositif de Robien, l’immeuble ou les parts de la société qui en est propriétaire ne doivent pas faire l’objet d’un démembrement.
Si tel est cependant le cas, l’avantage fiscal est remis en cause (sauf si cette situation résulte du décès d’un des époux soumis à imposition commune).
CA Angers, 3 juill. 2018, n° 16/01099
2. Conséquences pratiques – Avis Fidroit
Le démembrement de propriété d’un immeuble bénéficiant du dispositif de Robien entraîne la remise en cause de l’amortissement ainsi qu’un redressement fiscal.
Le notaire, dans le cadre de son devoir de conseil, doit informer ses clients sur l’ensemble des incidences fiscales qu’entraîne la réalisation d’un acte.
Aussi, il se doit de les dissuader lorsque ceux-ci souhaitent consentir une donation-partage à leurs enfants portant sur la nue-propriété des parts sociales d’une SCI détenant un immeuble loué dans le cadre du dispositif de Robien.
A défaut, sa responsabilité est engagée.
Avis Fidroit :
En amont, le notaire doit donc :
- Interroger ses clients sur l’éventuelle existence de dispositifs fiscaux concernant le bien immobilier concerné,
- Demander des pièces concernant l’immeuble ou la société dont les parts pourraient être données (titre de propriété, baux, statuts, déclarations 2072-S, etc.),
- Alerter ses clients sur l’ensemble des conséquences juridiques et fiscales qu’emporte la réalisation de l’acte envisagé.
Remarque :
Cette décision est bien évidemment transposable à l’ensemble des dispositifs de défiscalisation qui ne s’appliquent pas aux immeubles dont le droit de propriété est démembré, et notamment :
- Au dispositif Scellier,
- Au dispositif Pinel,
- Au dispositif Duflot.
3. Pour aller plus loin
Contexte
Applicable aux acquisitions de logements neufs ou réhabilités entre le 3 avril 2003 et le 31 août 2006, le dispositif « de Robien classique » permet de bénéficier d’un avantage fiscal sous forme d’amortissement déductible des revenus fonciers en contrepartie de la location d’un logement nu pendant au moins 9 ans.
L’amortissement est remis en cause lorsque les conditions du dispositif ne sont pas respectées.
Il convient notamment de ne pas démembrer l’immeuble ou les parts de la société semi-transparente qui le détient.
Par exception, le démembrement résultant du décès de l’un des époux soumis à imposition commune n’entraîne pas la remise en cause de l’avantage fiscal. Le conjoint survivant titulaire de l’usufruit peut donc demander la reprise du dispositif à son profit, dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités.
BOI-RFPI-SPEC-20-20-10 § 70 à 90
Le non-respect de la condition liée à l’absence de démembrement entraîne donc la perte de cet avantage fiscal.
Or, le démembrement de propriété peut résulter de la réalisation d’une donation-partage portant sur la nue-propriété de l’immeuble en question, ou sur les parts sociales de la société propriétaire de celui-ci.
Se pose alors la question de la responsabilité du notaire ayant régularisé un tel acte.
Faits et procédure
Des époux ont créé une société civile immobilière (SCI) dont ils détiennent la totalité du capital.
Le 10 juin 2003, la SCI acquiert un bien immobilier sur lequel des travaux sont effectués afin de réaliser des appartements.
Ces derniers sont mis en location par la SCI dans le cadre du dispositif de Robien à compter du 1er août 2005.
Suivant acte du 22 décembre 2008, les époux consentent une donation-partage à leurs deux filles de la nue-propriété des parts de la SCI.
La réalisation de cet acte entraîne une remise en cause par l’administration fiscale de l’amortissement résultant du dispositif de Robien ainsi qu’un redressement fiscal.
Les époux estiment avoir été mal conseillés par leur notaire et demandent à être indemnisés de leur préjudice.
A défaut de règlement amiable de leur litige, ils engagent une action devant le tribunal de grande instance.
Celui-ci retient l’existence d’une perte de chance pour les époux et condamne la société civile professionnelle (SCP) au sein de laquelle le notaire est associé à verser aux époux une somme de 279 700 euros.
Le notaire et la SCP font appel de ce jugement.
Arrêt
La Cour d’appel confirme le jugement retenant la faute du notaire, en précisant que le fait que les époux soient à l’origine de ce projet de donation-partage importe peu.
Puisque le notaire était sollicité pour dresser l’acte, il devait éclairer ses clients sur sa portée juridique et fiscale et « les en dissuader au regard de l’ensemble des implications fiscales, au-delà de la simple exonération de droits de mutation qui leur était apparue attractive« .
Pour ce faire, le notaire doit réunir les « informations utiles pour pouvoir délivrer une information suffisante aux époux« .
Analyse
Cette décision confirme l’importance du devoir de conseil du notaire vis-à-vis de son client, tant pour ce qui concerne les aspects juridiques que les aspects fiscaux.
Le notaire doit faire une analyse globale de la situation de son client afin de lui apporter un conseil adapté.
Certes, une donation-partage de nue-propriété permet de limiter à terme la fiscalité successorale. Mais la réalisation de cet acte emportait en l’espèce d’autres conséquences fiscales défavorables.
A cet égard, la Cour d’appel fixe à 90% la probabilité selon laquelle les époux auraient différé leur projet de donation-partage durant la période initiale d’engagement de 9 ans afin de ne pas prendre le risque de s’exposer à un redressement fiscal.
Elle relève aussi que le notaire ayant reçu la donation-partage était le notaire habituel du couple. Ce notaire avait reçu l’acte d’acquisition de l’immeuble par la SCI ainsi que les actes de prêts immobiliers en vue de la réalisation des appartements loués dans le cadre du dispositif de Robien. Il aurait donc dû faire le lien entre les opérations et vérifier par précaution qu’il n’existait pas de dispositif fiscal en cours susceptible d’être remis en cause par le démembrement de propriété des parts.
Ainsi, cet arrêt rappelle que le notaire doit conseiller son client de manière complète, même lorsque ce dernier est à l’origine du projet d’acte.
Remarque :
La responsabilité du notaire est régulièrement engagée dans le cadre d’opérations de défiscalisation.
Ainsi, un arrêt d’appel a été censuré, faute d’avoir recherché si le notaire n’avait pas manqué à son devoir de conseil en n’avertissant pas les acquéreurs de l’incertitude entourant le régime fiscal applicable à l’opération et du risque de perte des avantages fiscaux recherchés.
Cass. civ. 1, 26 janv. 2012, n° 10-25741, 10-26560 et 11-14663
De même, le notaire doit informer les parties sur la portée, les effets et les risques de l’acte auquel il prête son concours, et, le cas échéant, le leur déconseiller, cette obligation devant prendre en considération les mobiles des parties, extérieurs à l’acte, lorsque le notaire en a eu connaissance.
Cass. civ. 3, 20 sept. 2017, n° 15-14176
Source : Fidroit