- 21 janvier 2019
- Focus conseil
Dispositif Scellier : Remise en cause des avantages fiscaux en raison du caractère fictif d’un bail consenti à un enfant (CAA Lyon 26/06/2018)
L’absence de perception des loyers peut engendrer un redressement sur le fondement de l’abus de droit
1. Ce qu’il faut retenir
Si le non-recouvrement des loyers ne constitue pas, en soi, un cas de remise en cause de la réduction d’impôt Scellier, l’absence de paiement effectif du loyer peut traduire le caractère fictif du bail.
La condition de location n’étant alors plus remplie, la réduction d’impôt et le déficit foncier sont remis en cause.
CAA Lyon 26 juin 2018, n°16LY03155
2. Conséquences pratiques – Avis Fidroit
Afin
de justifier du caractère réel du bail, il est nécessaire qu’il existe
un flux de revenus entre le propriétaire et le locataire (le contrat de
bail est défini par la mise à disposition d’une chose moyennant un prix
que le locataire s’oblige à payer).
C. civ. Art. 1709
Ces flux doivent exister, y compris dans un contexte familial.
En cas de location à un ascendant ou descendant qui ne dispose pas de revenus, on pourra envisager de lui verser une pension alimentaire pour lui permettre de faire face à ses charges. La pension alimentaire doit être évaluée selon ses besoins et selon les ressources de celui qui la verse
(découlant de l’obligation d’aliments). Elle ne doit pas être
strictement liée au montant du loyer : il s’agit de subvenir aux besoins
du bénéficiaire et non de lui fournir le revenu susceptible de payer le
loyer.
La pension alimentaire versée à un enfant majeur est déductible à
hauteur de 5 795 € (IR 2017) à condition de prouver l’état de besoin de
l’enfant et de justifier de versements effectifs. Elle sera imposable à
son nom dans la même limite.
BOI-IR-BASE-20-30-20-20 § 200 et s.
Avis Fidroit
Cette décision, rendue en matière de dispositif Scellier, est
transposable à tous les dispositifs fiscaux autorisant la location à un
descendant, et de manière plus générale à tous les baux conclus dans le
cadre familial.
Pour réduire le risque de requalification du bail, il conviendra de se
ménager la preuve de l’effectivité du paiement des loyers et de la
réalité de l’intention des parties.
Lorsque le loyer est partiellement payé par une pension alimentaire, on
restera vigilant à décolérer le montant du loyer de celui de la pension
versée. Les flux devront autant que possible être matérialisés : on
évitera de recourir à la compensation et l’on privilégiera des
versements à des dates distinctes. Les loyers et les pensions devront
être rigoureusement déclarés dans les déclarations d’impôt des parties.
Selon les circonstances, on pourra également envisager des locations
croisées avec les enfants de personnes dans la même situation.
Cette dernière solution est d’autant plus avantageuse qu’elle permet de
conserver le bénéfice de l’APL pour l’enfant. L’APL est, en effet,
écartée lorsque la location est effectuée à un ascendant, un descendant
ou au conjoint, partenaire ou concubin (CCH, art. L. 351-2-1).
3. Pour aller plus loin
3.1. Contexte
La location à un descendant sous le régime Scellier est autorisée
Les contribuables qui ont acquis entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2012 des logements neufs (ou assimilé) destinés à être donnés en location nue à usage d’habitation principale pour une durée minimale de 9 ans peuvent, sous certaines conditions, bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu, dite « Scellier ».
Pour bénéficier de ces avantages, l’investisseur doit louer à une personne physique. La location à un descendant est admise (à condition qu’il soit hors du foyer fiscal du contribuable).
BOI-IR-RICI-230-20-20 § 120
Instr. adm. 12 mai 2009, BOI 5 B-17-09, page 8 § 20 et 21
Remarque :
La location à un ascendant est notamment admise pour (à condition que ce dernier ne soit pas membre du foyer fiscal du bailleur) :
- l’investissement sous le régime Pinel réalisé depuis le 1er Janvier 2015
- l’investissement sous le régime de Robien classique et recentré ;
- l’investissement sous le régime Besson neuf
Dans tous les cas, le loyer doit correspondre à la valeur de marché
Le loyer prévu dans le bail est en principe retenu pour déterminer le revenu brut foncier.
Toutefois, en présence d’un loyer faible ou fictif, les règles sont différentes :
- Si le loyer est « notoirement inférieur à la valeur locative », l’administration peut majorer le revenu déclaré (sauf si le propriétaire démontre qu’il ne pouvait louer à un prix normal, pour des raisons indépendantes de sa volonté).
- Si le bail est fictif, le propriétaire doit être regardé comme s’étant réservé la jouissance de l’immeuble, aucun revenu ne peut être retenu ni aucune charge déduite (S’agissant d’un local à usage d’habitation).
En matière de loyer anormalement bas, l’administration peut alors se fonder sur l’un ou l’autre des moyens ce qui conduira soit à augmenter les loyers déclarés, soit à remettre en cause la déduction du déficit foncier constaté.
Le choix sera fait par l’administration en fonction de l’opportunité.
BOI-RFPI-BASE-10-10 § 420 et s.
BOI-RFPI-CHAMP-20-20 § 50
Dans le cas d’espèce, il ne s’agissait pas, a priori, d’un loyer notoirement faible, mais d’une absence de paiement du loyer : il semble que l’administration devait obligatoirement fonder son action sur le caractère fictif de l’acte.
3.2. Faits et procédure
Un
contrat de bail a été signé entre un père et sa fille en novembre 2009.
De la signature du bail au 31 janvier 2013, aucun loyer n’a été
versé.
Ce contribuable a fait l’objet d’un contrôle fiscal au terme duquel il
lui a été adressé une rectification de son impôt sur le revenu.
L’administration retient la remise en cause de la réduction Scellier et
du déficit foncier déclaré considérant, sur le fondement de l’article
L64 du LPF, qu’il s’agissait d’un bail fictif.
Le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande en décharge du
supplément d’imposition et des pénalités. Le contribuable a donc fait
appel de cette décision.
3.3. Arrêt
La Cour administrative d’appel a confirmé le redressement constatant que :
- L’acte, présenté comme un bail d’habitation, constituait en réalité une mise à disposition à titre gratuit du logement dès lors qu’aucun loyer n’avait été versé par le locataire et que les difficultés financières de celui-ci préexistaient à la conclusion du bail. Le bail devait, par conséquent, être considéré comme fictif.
- Ni l’absence de loyer compensée par l’obligation alimentaire, ni le règlement de l’arriéré de loyer postérieurement à la proposition de rectification, ne permettaient de remettre en cause l’appréciation de l’administration fiscale.
En l’absence de location, la condition pour bénéficier du régime Scellier n’était pas remplie. De plus, s’agissant d’une mise à disposition à titre gratuit, aucun revenu foncier ni aucune charge ne pouvaient être déclarés, le déficit foncier ne pouvait exister.
3.4. Analyse
L’administration
a mis en œuvre la procédure de l’abus de droit prévue à l’article L 64
du LPF en vue d’établir le caractère purement fictif du contrat de bail
cherchant à remettre en cause le bénéfice de la réduction Scellier ainsi
que le déficit déclaré.
En premier lieu, on peut noter que le paiement par compensation a été
écarté par la Cour d’appel. Le contribuable invoquait le caractère
onéreux du bail en raison du paiement par compensation entre sa créance
de loyer et sa dette née de l’obligation alimentaire. En l’espèce, le
bail était consenti à sa fille qui a rencontré des difficultés
financières.
Cette solution peut paraître critiquable dès lors que le paiement par
compensation produit des conséquences sur le plan juridique (C. civ.
art. 1347 et s.), et est même prévue par le BOFIP : « Les loyers perçus
par compensation constituent un revenu foncier imposable au même titre
que ceux effectivement encaissés par le bailleur ».
BOI-RFPI-BASE-10-10 § 40
L’administration aurait alors pu, sur ce fondement, se contenter de réintégrer ces revenus fonciers dans la déclaration.
Pour autant, la Cour retient que cet argument ne suffit pas à remettre
en cause l’appréciation faite par l’administration fiscale. Dès lors que
les difficultés préexistaient, la volonté réelle des parties était la
mise à disposition à titre gratuit.
Le fondement de l’abus de droit, retenu par l’administration, permet à
la fois de remettre en cause la réduction Scellier, le déficit foncier
(puisque s’agissant d’une mise à disposition à titre gratuit il n’y a ni
revenus déclarés ni charges déductibles), et enfin de majorer
l’imposition de 80 %.
Remarque :
Compte tenu des incertitudes qui pèsent sur la portée de la décision, on restera attentif à un éventuel pourvoi en cassation des parties.
Source : Fidroit